Voyage soufi
VOYAGE SOUFI
Lettres aux amis
Salam mes loukoums / Merhaba...
...Au bazar c'est simple c'est le bazar!
J'ai quand même réussi a voir la vidéo en muet, c'est un vrai beau bon!! Yallah!!
Vous ne m'en tiendrez pas rigueur le clavier est plein de lettres inconnues chez nous autres étrangers et les ponctuations m'échappent...
C'est ça qu'est bien aussi...
J'ai quand même déniché de toutes petites petites cymbales pour Kerfi le troug, des babouches de princesse pour Luakhan et autres trésors; un khalam pour Laurent et une église tout en fer, des cartes postales pour les hommes et femmes poissons, du safran et du Mesir Macunu, aphrodisiaque des sultans au miel et aux 40 épices, vous m' en direz des nouvelles bande de 40 voleurs!
Les chats voleurs aussi sont des pachas et font divan à l'oriental.
Les cornes de brume enchantent le Bosphore et rappellent que Byzance/Constantinople/Istanbul est aussi un immense port.
Les mouettes se dorent les ailes et le ventre en riant sous les puissants projecteurs qui illuminent les 6 minarets de la Mosquée Bleue.
Étoiles filantes, elles dansent au chant du muezzin vociféré par les 76 bouillets/hts parleurs à rendre timides le Space fish, Mazalda et les 2 Rien !!!
Au musée de Péra, pour Jérôme, j'ai cherché et trouvé le dresseur de tortues, je te le rapporte...
Les filles, au musée de l'ancien orient, les figures de pierre sculptée rejoignent nos soeurs de l'art brut cueillies par Dubuffet.
Celles de Mésopotamie espèrent les mains de Pascaloo pour les ravigoter.
Le Dieu de la mer salue Gildas en langage des signes sculptés.
J'ai vu des photos qu'El Tshico aurait pu caresser, c'est pour lui, elles l'attendent avec patience - Souviens-toi du futur.
Le hammam de ma rue ne rivalisera jamais avec le petitou de la Barandilla à Ifni...
J'ai frôlé le Tartar(e) chevelu et barbu au marché des livres anciens.
Il revenait de loin et n'avait pas fini sa course...
Je sale le beurre sous la confiture de rose. La tempérance même se doit d'être tempérée.
Le jeûne de saucisse sèche et autres régalades à boire et à fumer n'aura qu'un temps.
En attendant le chichouchen, la chicha se tête à l'envers dans les coussins des cousins.
...Et tant encore... à suivre
.... Je reçois les mails mais difficiles à envoyer...
La connection va se mettre en apnée
Je pars à la nuit vers les Ouzbeks en zerbia, tapis volant...
Bises d'amour fourrées à la pistache
Zic d'Istanbul
J'ai vu d'un bon œil la vieille tsigane édentée brûler l'herbe isryk dans une cassolete, comme de l'encens, vous enfumer de psalmodies pour chasser le mauvais œil .
J'ai vu un aksakal, "barbe blanche", pousser un landau brinquebalant des années 50 débordant de "non", ce bon pain rond, bon comme du bon pain.
J'ai vu celui qui jouait au karum riant de toutes ses dents en or - toutes !- devant le caravansérail Abdull Khan,somptueux de s'être effrité depuis 6 siècles.
Il m'a fait rendre visite à ce lieu silencieux sauf des cris des hirondelles amoureuses.
Tout en russe -tout!- dont je ne parle un traître mot.
De l'essentiel,j'ai tout compris, sans détour.
Quels ateliers nous aurions là!
Le ciel ici est d'un bleu pur cristallin inconnu à ce jour.
Les mosaïques des mosquées de tous les bleus du monde rivalisent à faire bleuir de jalousie le peintre présomptueux.
Les 35 degrés à l'ombre enflamment les sens.
J'ai senti la soif du désert des sables rouges alentour, le Kysyl Kum.
J'ai bu une des meilleures bières de mavie, à part celles partagées avec toi Mika, après m'être égarée, je l'avais bien cherché!
Kerfi, à défaut de cymbales, tu auras un tambourin en peau de vieux chameau, mon chameau.
Laurent et Pascaloo, vous boirez du tchaï au gingembre de la route des épices.
Tshico, j'ai rencontré une belle âme de photographe argentique résistant, que tu aimerais comme un frère d'orient.
Jé, je suis allée au "Sirk", piste aux étoiles post soviétique à porter à nos anti-anthologies!
J'ai aimé le pop corn tout chaud à 10 cts d'euro et les ouvreusesrevêches à souhait.
Et les taxis sauvages,
Et les 285 000 soums contre 100 $,
Et les brochettes fumantes,
Et les sourcils des femmes noircis et rejoints par le khôl, Frida Kalho sans le savoir...
L'Internet est capricieux comme un enfant et c'est pas pire.
Vous manquez et c'est bon ça aussi de le savoir...
Alula, Naos, Luakhan, Étienne, les étoiles, c'est pour vous.
Vénus est là, déjà, ici aussi et la terrasse de la tchaïkhana -maison de thé- m'attend,par les rues sans éclairage où je vais me fondre, ombre dans l'ombredes derviches pélerinsqui faisaient halte dans ces khanakas, hâvres d'étude et de prière et leurs kitabkhanakas (kitab, livre en ouzbek),où se fabriquaient les manuscrits enluminés...
À la main, je vous écris les plus beaux bleus du monde,
Avec amour,
Zic
Faites un signe pour me dire si le mail passe la rampe, rien n'est moins sûr...
CHAPITRE III / Depuis Bokhara, puis Samarkand, Ouzbékistan, lune pleine de juin, jusqu'à Cantagrel, camp de base aveyronnais...
/ Bokhara
Sans internet depuis fin mai, ce mail vous parviendra, tels les vieux courriers postaux, une fois mon retour presque achevé.
Encore un pied sur le Zerbia tapis volant du lointain Orient, l'autre reviendu en Aveyron et le 3e, comme l'oeil, prêt à repartir dès que le vent tournerAllah, vers les 2Rien d'Avignon et les grandes marées foraines de KervilléOyé.
Avec des re-nouvelles besaces, une à moitié pleine, l'autre à moitié vide, comme dit l'BôJé!
...17e siècle, adossé à l'émouvant Poy Kalon où il est si doux de s'asseoir et ne rien faire qu'écouter tournoyer les hirondelles...
Le Hammami Kund Jak, voûtes voluptueuses, briques de terre cuite.
Les 300 femmes du Harem de l'émir de Bokhara pétrissent le miel, l'huile, la cannelle, les herbes et la cardamone.
La geste millénaire enduit le velours des peaux alanguies sur les bancs de pierre brûlante.
... Lascive, la sueur perle par tous les pores de ma blancheur, les miasmes s'échappent.
Khadiya est assise sur les immenses dalles du sol.
Les eaux mêlées ruissellent, bassinées à grandes volées d'expertes.
Elle baigne Mokhammad, son nouveau-né de 20 jours.
Aux anges, il a le calme sourire du Parfait, le Petit Bouddha.
En cet Islam, bien des Mosquées ont été bâties en place d'anciens temples Bouddhistes ou Hindouistes...
Après les vapeurs enivrantes, les enveloppements, les frottements, les rinçages en fontaines chaudes, puis fraîches, les massages..., vient le temps du thé à la menthe et des amandes sur les coussins affalés des takhtans de bois.
Deux rondes Bibis, les grands-mères, prennent soin de la jeune accouchée.
Rituels incantatoires, étirements, souffles, balancements, frappements de mains, chants, mantras soufis et prières...
Islam animiste, chamanique...
La Voie se poursuit comme nous la poursuivons.
L'instant porte l'éternité. Nous la trans-portons, au-delà de nous-mêmes...
... Vendredi jour de grande prière, Nargiza et Kaxramon, tout jeunes époux sur leur petit nuage de novela Ouzbèk.
Ils m'emmènent à la campagne, faire des voeux au Mausolée de Baha Al Din Naqchbandi, fondateur de l'ordre Soufi qui porte son nom.
Je me suis fondue aux pélerins, suivant la danse rituelle.
Nous avons bu l'eau bienfaisante, fait don de pains et de quelques billets, communié les mains en corbeille et le visage caressé, emportés par la voix irrésistible du vieil Imam, si on se laisse aller, aller, aller...
Nous sommes passés sous l'arbre millénaire, pétrifié, vénérable et magique, (et ça marche!).
Nous avons murmuré nos souhaits, ils désirent un fils, j'attends la nouvelle...
Trois pèlerinages en ce lieu divin valent un à la Mecque les mecs!
Me sens juste, sensiblement, humblement, un tout petit chouya plus Hadj sur le chemin de la concentration, de la méditation, de la spiritualité, apercevant là quelque paix, figure de sérénité...
Je sais aussi avec calme et détermination que je déteste les galons, que jamais je n'en prendrai, gardant sagement, tant que possible, à l'aune d'Omar Khayyam, l'âme libre et vagabonde, échappant à toute chapelle...
/ Samarkand la mythique...
"Et maintenant, promène ton regard sur Samarkand! N'est-elle pas reine de la Terre?
Fière au-dessus de toutes les villes, et dans ses mains leurs destinées?" ( Edgar Allan Poe )
"Ville dont on devrait fouler le sol sacré plutôt avec la tête qu'avec les pieds"...
... J'ai vu la cellule de la Madrasa où séjourna avec son Leica en 1932 l'insensée voyageuse Ella Maillart.
J'ai vibré avec elle aux bleus qu'elle évoque en cette "incomparable Samarkand" :
" L'outremer répond à la turquoise, le bleu marine à l'émeraude, le cobalt à la terre de sienne, le lapiz-lazuli à l'ocre; les couleurs semblent se mirer l'une dans l'autre et, soutenues par les teintes chaudes des briques naturelles, créent un chant qui s'élance dans le bleu du ciel."
... Mais, (faut-il toujours un mais?), la Russie puis le grand régime du Soviét Suprême ont envahi les lieux, le dictateur en place depuis l'indépendance de 1992 ne vaut guère mieux.
Les vieux quartiers, dont le juif, sont rasés, le peuple expulsé dans les banlieues staliniennes sans fin.
On taillade la cité d'avenues sovietristes.
Elles mènent les mêmes visiteurs qui bientôt seront ceux de la Tour Eiffel et de Montmartre, vers les grands monuments qui, à force de restauration, risquent d'être destitués du Patrimoine Mondial.
Ces extraordinaires bâtisses sont aujourd'hui pour partie encerclées de murs de la honte. Ils cachent la vraie vie locale qui a bien changée!
Dédiés aux marchands du temple, aux souvenirs tous pareils, aux vitrines vides, devantures vendues au tourisme en essor et aux flics corrompus qui, pour 20 $, proposent aux rares solitaires de monter dans le sublime minaret penché comme Tour de Pise lorgnant sur la célèbre Place du Régistan où...
Je n'ai plus vu un seul chameau, ni un âne, plus un souk grouillant de turbans, de manteaux brodés et puant la pisse et les épices.
J'ai déniché de rares archives photos, il est toujours trop tard. Le Bazar est en béton neuf, restent quand même les femmes assises parmi les abricots, les cerises et les tomates et engraissées par les bons pains et les beignets.
Plus une tchaïkhana autour où fumer le narghilé, ça renifle la Camel d'importation.
Les bottes de cuir à bout relevées que portent encore de rares Barbes Blanches, j'ai eu de la peine à les trouver en place des Nike Merde in China...
Comme va le monde ici aussi, comme partout !?
Mais..., il y a toujours un mais, les grands nettoyeurs et les coupeurs de gazon aux ciseaux, ne semblent pas connaître de certaine psyllocibe sauvage, elle pousse sur les carrés de gazon anglo-ouzbèk, au coeur de la cour du célèbre Mausolée Gour émir de Timour le Boiteux. Celui qui refit l'unité et l'empire du Turkestan de l'époque du 14e siècle.
Guerrier sanguinaire qui n'épargna que les poètes, les savants et les derviches...
Déguisée en fantôme chinois, j'ai fait cueillette, prenant soin de préserver quelques spécimens pour la reproduction naturelle, et mis dans la besace...
Voilà bien là l'oeuvre d'Allah Akbar, Il l'a voulu ainsi...
Les monuments reprennent un peu de leur magie, jamais tout à fait policée.
Faut toujours gratter la Terre...
Puis vînt mon adoption par Aziza et sa soeur Kutbiya tenant l'hôtel ouvert sur un jardin d'Eden intérieur.
J'ai têté le sein familial offert.
Elles me prennent par la main pour aller à une "cérémonie de femmes" ?...
" Sortons! ", comme dit Ella Maillart...
La cousine est une "Otin Oiy", "femme éduquée", Mollah lettrée, Imam au féminin, chamane, guérisseuse et diseuse d'avenir...
Sacrée frangine, petite fille d'un célèbre maître Soufi, guérisseur aux saints pouvoirs.
Elle ne savait pas encore que mon arrière grand-père était derviche tourneur à Istanbul...
Incantations, souffles, lectures d'un vieux grimoire en arabe classique, partage du pain, d'un même bol d'eau chaude (une gorgée), du sel, du sucre, du caramel aux épices, du riz cuit sucré (3 bouchées).
Les raisins secs, chacune une poignée, équeutés un à un, sont passés d'une main dans l'autre, paroles scandées, de longues, longues minutes.
Du tchaï dans nos bols où l'assistante trempe le pommeau de la canne du grand-père vénéré et le tourne 3 fois...
Des galettes, des beignets et des bonbons sont redistribués à l'heure du départ.
Puis prières dans le discret cimetière en jardin sauvage, jouxtant la petite mosquée derrière la maison.
Elle cache des cellules où se retiraient les derviches...
Acoustique renversante, le cousin chante et récite des sourats, à merveille.
Comment ne pas "prier" à la musique?
Extase plus fort que soi, le coeur déborde, les larmes sont incroyablement douces et l'Amour envahit ...
Quand nous sommes partis le grand paon de la mosquée, faisait la roue au chant du muezzin...
L'Otin Oiy était si chaleureusement heureuse que je sois venue jusqu'à Samarkand et, elle en était assurée, mes ancêtres aussi, pour ça...
That sit...
... I had a dream, bien sûr c'était un rêve, une image d'Épinal, une maya, une vision, un mirage.
Je les garde et les chéris. Le "rêvé" n'existe pas ou plus pareil.
Mais je le conserve et, en surimpression, les vieilles images, les mémoires des mémoires, vues, lues, entendues, échangées, les familiales et celles des grands voyageurs, réelles ou imaginaires.
Beau rêve qui demeure un chemin, que nul ne pourra déloger, expulser de la mienne.
Qu'est-ce qui est réel, qu'est-ce qui ne l'est pas?
Où est l'essentiel?
J'ai touché du doigt, du corps, une fois encore ce que je cherchais, non pas le manuscrit secret d'Omar Khayyam, recherché dans le magnifique "Samarcande" d'Amin Maalouf, mais son souffle soufi, poétique et rebelle, qui a caressé mes oreilles et mon âme quelques instants furtifs, rares, secrets, difficiles à conter, mais nourrissants, inoubliables, illuminants...
Je garde ses paroles qui n'ont pas fini de voyager, elles, et de nous faire voyager :
" Sur la Terre barriolée chemine un homme, ni riche ni pauvre, ni croyant ni infidèle, il ne courtise aucune vérité, il ne vénère aucune loi...
Sur la Terre barriolée, quel est cet homme brave et triste? "
" L'Enfer et le Paradis sont en toi. "
" Lève-toi, nous avons l'éternité pour dormir." ... Omar Khayyam
Kharmat, Merci...
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