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Naïma

NAïMA


Naïma passait de longues heures à glisser dans soie, frôleuse.

Elle se ressouvenait pouvoir s'aimer profondément, un de ces quatre matins.
Un de ces quatre garçons du jour qui se lève.
Elle grandissait, réfugiée dans son divan de divague. Dans ses bras familiers, elle était une femme libre. Elle s'étirait comme un chat.
Les chats ont les belles vies; neuf, toute neuves.
Chats de gouttières, chats sauvages, ils se promènent nonchalamment de fil en aiguille.
Et fi des chats d'aiguille!

Naïma s'écarquillait à mater le jour qui vit la chute mondiale, le réveil brutal.
Dans le gris noir paradis, perdues les couleurs d'Orient, les hommes qui se débattaient ne se battaient plus en espoir de cause.
Ils ne se suicidaient même plus; quand nous n'avons rien à perdre. C'est fatal!
Nous perdons les mémoires, les grimoires.

Le cadre se rétrécit, Le plan se resserra.
Ma bonne parole, ils avaient les yeux fixés en avant. Ils inondaient de larmes.
Le fossé était partout creusé et les murs érigés.
Les pensées revenaient au grand galop, elle les chassait à grand peine.
- Elle ne doit rien savoir. Elle ne doit pas être sûre d'être là.-

Naïma leva la tête éperdue.
Elle hésita si c'était un rêve.
Elle faisait la sale tête des années noires, la toute cabochée.
Marre des croupes sombres.
Mauvais sang, mauvais rêve qui s'invitait dans sa chair, ses affolements.
Les vagues sentiments qui roulaient et cognaient au cœur de pierre.
Houle ardente cinglant l'émeraude rocher.
Elle dut rôder jusqu'aux marées montantes.
Elle dut quitter sa compagnie, s'abandonner sur la grève, partir en vacances jusqu'à l'asile le plus lointain.
Elle désertait.

Naïma se gardait de l'Amour!

Réveil brutal, elle s'écarquilla à mater le jour qui vit sa chute infernale.
En pure perte, elle bondit, sortit d'elle, bouillonnante, pour aller voir d'ailleurs.
Parmi les ombres luisantes hors les murs.
Rattrapée, renversée, résolue, elle marcha au-devant d'elle-même avec grâce.
"Répondre au besoin même si il nous fait souffrir" soufflait le Sufi sur les ondes de la radio.
Bouches décousues.

Les nouvelles allèrent vite.
Le pays fut secoué avec Naïma.
Le cocotier frétille quand il est secoué.
Les fruits mûrs tombèrent généreusement des arbres.
Les plus vénérables l'invitèrent à la transe, dans le sillage d'allégresse des belles négresses tutélaires. Leurs pieds soulevèrent la poussière de rouge, terre légère, Mères rayonnant à la ronde cantonade.
Elles les nourriraient.

Prélassée d'attendre, Naïma devança son départ.
Ce rêve-là il fallait le réaliser.
Elle décida sur un coup de calot par la bande de se rendre un peu visite.
Elle tomba les voiles et mit les bouts à bout du rouleau.
Elle allait comme un charme, et venait pareil, plus miel encore.
Elle débarqua le premier marin qui aurait une boucle d'oreille, or fauve, côté cœur.
Le bouche-à-oreille ne tarda pas. Il fût favorable comme les vents, charnels.
Les grains, les passes et les accalmies les guidèrent jusqu'à dresser des statues de bois sur leur passage.
Le banquet fût équitable.
Ils régalaient à gorges déployées, chaudes, ils chantaient.
Le festin fût délicieux.
Ils avaient encore faim.

Naïma, doucement, en vint aux mains.
Elle les nourrirait.
Ils dansent, poussière d'étoiles, terre légère.
Tout arrive.

 


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