Si la photo est bonne
SI LA PHOTO EST BONNE
À Tshi,
Les photos sont troublantes.
Pour celui qui saisit l'image, pour celui qui la regarde.
Où se trouve ce qu'on va y chercher, ce qu'on y met, ce qu'on y rencontre?
L'œil écoute les silences entre les mots, attrape les fantômes qui nous habitent.
Les photos impriment leurs lumières et révèlent leurs ombres.
Passeuses, mystérieuses passantes.
Les âmes passagères se posent sur la main tremblante du photographe que l'émotion emporte.
Sa main, froide ou moite, vibre et s'échauffe.
Laisse-toi filer entre les doigts sur la pointe des pieds, vouloir les gens beaux, doux et lumineux de leur tendresse.
Plus on en donne, plus il y en a.
Nous osons rarement nous regarder droit dans les yeux.
Il pourrait y avoir là quelque chose de hautain ou de prédateur.
Heureusement, les yeux ne sont pas les seules antennes et au-delà de la parole qui enferme, il y a les gestes.
Celui de " prendre en photo" ressemble à un échange amoureux.
Toucher avec les yeux, ouverts comme on ouvre les bras pour embrasser.
S'aveugler comme on prend un coup de lune, ravis de se laisser ravir.
Photos bougées, touchées, coulées.
Elles se contrastent sous les impulsions.
Quelle chimie nous occupe?
Pas le temps de dire "le petit oiseau va sortir" ...
Qu'il a déjà disparu.
Oiseau migrateur, qui aime les ombres, les soleils et l'arrivée du printemps.
Quelque chose nous échappe, que l'on désire trop ou pas assez.
L'amour rend flou. Impossible à retenir.
Vouloir le saisir, le mettre en cage, vous transforme en Don Quichotte.
Photographeur... Trappeur cherchant traces.
L'insatiable voyageur caresse de furtifs instants choisis, instants donnés.
Dès lors, on n'en veut plus d'autre de portrait.
On n'en voit plus d'autre.
Pour l'instant c'est le portrait définitif, le portrait officiel, poétiquement correct.
Preneur de vue sans archives ni mémoires.
Goûte la lenteur, le peu, la rareté et se souvient du futur, c'est maintenant.
Funambule semeur d'étoiles qui éclairent les nuits, les aveuglements, les émerveillements.
Une part de nous est réellement notre reflet dans le miroir des yeux de l'autre.
Une part de mystère subsistera et c'est tant mieux.
Elle continuera de nous faire peur et de nous faire rêver.
Drôle d'oiseau.
Sa seule façon de se fixer quelque part est d'apparaître, ombre noire dans les pupilles de l'être photographié.
Sinon il ne marche pas tout à fait sur cette terre.
Il somnambulise, fun-ambulise, de trottoirs en trous noirs, de délices en day light.
Ni ne glisse, ni ne vole, ni ne bondit, ni ne surf.
Silhouette solaire derrière des lunettes noires.
Lui, vous ne le saisirez pas sur une image.
Il ne s'avouera photographié à son tour qu'à demi caché derrière une capuche ou un masque grimaçant.
Lézard caméléon gorgé de rayons, tiédi au soleil, les yeux mi-clos.
Reste le non révélé, le désir et le plaisir d'être au monde ré-enchanté quand - fulgurances - la photo est bonne et le donne à apercevoir beau, doux et lumineux...
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