Print this page

Le Fondouk Bab El Channel

LE FONDOUK BAB EL CHANNEL*


Anarchitecture temporaire, nomade et enjouée


Le Fondouk (ou funduq), est un caravansérail au Maghreb. Il est bâti à l'intérieur des enceintes de la médina, près d'une de ses portes, pour mieux arriver et mieux partir. C'est le lieu où les caravanes font halte. Marchands, pélerins, étrangers et animaux y séjournent. Tout autour d'une cour intérieure où s'entassent marchandises et bestiaux, s'ouvrent des pièces; magasins, entrepôts, galeries, ateliers. Les voyageurs gîtent au premier étage. Le fondouk est ainsi un haut lieu de brassages, de commerces, d'échanges, de transactions, de souks, de bazar, de vie et d'odeurs. On y troque, on y tchatche, on y prie, on y bouffe et on y chie. On y sirote le thé à la menthe nana......

Quant à nous, nous voici invités au Channel, en «Libertés de séjour», pour vivre «une expérience artistique et humaine inattendue». Nous voilà donc conviés à prendre place et corps dans cette médina avec sa halle, ses pavillons, sa rue, en cette enceinte charnelle, grosse de 1000 promesses et promenomades.

Alors, entrons dans la danse que proposent Patrick Bouchain et Loïc Julienne, constructeurs du Channel, avec leur «architecture enjouée qui produise d'abord du désir».**

Près de la porte d'entrée, à gauche, il existe un bâtiment, sorte de «bazar», sans nom sur le plan du site; si nous le désirons, on dirait qu'ce s'rait un fondouk...

...Bab El Channel, comme une inspiration, une place hospitalière, un abri, un port, une auberge câline. Il serait le lieu réunissant les «artistes complices» nomades et leurs caravanes, pour y séjourner en libertés.

Soyons les bienvenus...

Nous débarquons avec nos tribus, nos bestioles, nos 1000 escargots et nos 2 tortues.

Les caravanes-ateliers, les roulottes-galeries, les baraques-p'tits théâtre, les carlos-concerts ou labos photo argentique et déjantés sont installées en U, formant une cour centrale. Au coeur de la cour trônent des serres laissant transparaître quelques mystères et une tente, une khayma, mât centripète, arbre tutélaire, pour y faire salon de thé à la menthe nana... Ce thé qui invite à la palabre patiente, excite la poésie et rend amoureux.

Depuis le salon partent une ou des pistes de sable pour embarquer vers le bistrot, les yourtes ou ailleurs...

Dans ce fondouk coeurbattant, les artistes arrivent pour vivre heureux, voyageant avec 2 sacs, l'un pour donner, l'autre pour recevoir, comme dit Goethe. Riches de leurs routes personnelles, ils trimbalent leurs univers singuliers, auxquels ils ne cessent d'oeuvrer comme ils respirent.

Dans ce caravansérail, cet espace-temps de vie, de création, de métissages, d'enfantements, de retrouvailles et de trouvailles, se partagent, se rencontrent et résonnent les histoires, les affaires, les langues, les affects et les ouvrages. Ils construisent «l'ensemble» et fabriquent l'inattendu.

Le fondouk Bab El Channel, théâtre de pratiques artistiques éféemères ou de siestes profondes, est ouvert le week-end et pas fermé la semaine. Il tend ses bras aux publics, comme un abri léger et bienveillant, où actualiser de l'imaginaire et mettre en oeuvre du désir. Il ballade ses antennes d'escargots, au propre, au baveux et au figuré, dans tout le Channel, nomade à l'intérieur, au-delà de ses propres frontières...

Dès lors, qu'advient-il entre nous, que sortons-nous de l'Athanor?

Comment transformer du plomb en or? Comment transfigurer de vieilles chaînes rouillées et du bois flotté en gri-gri chargés d'émotions, d'espoir, d'amour, de vivant?

Tenter l'aventure en tous cas, s'y excercer, chercher, ad libido.

Les choses prennent le tour et le sens qu'on leur donne...

Fondouk... Stands de trocs joyeux à dégommer les effigies empêcheuses de tourner en rondes. Espace totémique pour incarner le projet, dans l'incontrôlable bouillonnement chaotique de la vie, dans l'instantanéité de sa réalisation in situ/vivo.

Prétextes jubilatoires aux affinités fécondes.

Cabane de foire à gais savoirs.

Complicité des forces qui se jouent et se déjouent.

Tergiversations souterraines au grand jour.

Fétiche à la profession de foisonnements ludiques.

Cornes d'abondance dyonisiaques.

Palabres caravanesques, cristallisations heureuses et manifestes.

Communautés intentionelles rayonnantes.

Terra Incognita à la conquête de nous autres, nous hôtes.

Moments construits, fugitifs, déconstruits.

Farces immanentes, intersubjectivités électives rieuses, forces emmêlantes et rapides.

Hasards objectifs, créateurs de situations fabriquées à dessein.

Terreau de fouilles archéoidéologiques lumineuses.

Jardin d'hédonistes pétulant d'énergies où se dépenser sans compter.

Ribambelles d'étonnants viveurs.

Circulation d'énergies efficientes.

Art martial où inspirer.

Généreuse exubérance pour la germination en pleine terre sans frontières.

Équation à plusieurs inconnues que reste l'aventure humaine et artistique, à "l'âge de faire".

Vivre une épiphanie, expérience forte, pour de vrai, pour du bon.

Une aventure non-ordinaire, parce que simple, rare, précieuse, reproductible, fructueuse, exemplaire, poussièreuse et chaude.

Une histoire à plusieurs ensemble, en joyeuse bande, une intensification du quotidien, ou, comme diraient les surréalistes, un pénétration du Merveilleux dans la vie.

"L'histoire" expérimente son existence dans l'immédiat, sans filet. Elle s'écrit, elle est là, auto-explicite. Elle est comprise dans l'action qui se déroule au jour le jour.

Pas de médiation, de commentaire, de sur-nous, la représentation est remplacée par la présence.

Pas de brouillon, d'esquisse, de préambule, de dossier, de dessin préparatoire.

Unité de Temps, unité de Lieu.

Trouver la matière et "Action!".

Ainsi nous sculptons le bois, le fer et nous-mêmes, pour nous sentir vivants, nous toucher et toucher le monde, l'ériger fièrement, chouïa infiniment.

Oeuvre d'art en soi que cet "temps-espace", dégoté de haute lutte, territoire libre où l'art sans musée peut exister, par le pur plaisir créatif.

Inspirations positives qui fabriquent l'énergie nécessaire, contribution réelle aux forces qui permettent de s'agréger, de se manifester.

Nous nous soulevons pour quelque chose.

Nous interrogeons les sables de nos légendes, l'archéologie de nos mythes réciproques et entrecroisés, mis en miroir, en enjeu, compost de nos mémoires assemblées, les écrivant, sans même plus y penser.

L'essence même de l'affaire se passe "face-à-face", "poitrine-contre-poitrine", énoncent les soufis.

Mouvement en spirale sur l'altérité.

Figure de l'escargot, maison spiralée sur le dos, ouvertes à tous vents.

L'oeuvre ouverte.

Défi, invitation à la danse, écoute, regard, vigilance, attention, éveil.

Co-habiter la géopoétique, être pérégrin, en co-errance...

En nomades spectacteurs conviés à d'humbles Banquets, oasis temporaires poéthiques, lovés autour de joyeuses communautés intentionnelles.

Qu'écrivons-nous ainsi de notre Destin, à chaque moment présent?

Si l'action sonne juste, la musique résonne, la preuve est faite, existentielle, et les oreilles sont ravies.

Conte philosophal, dessiné, porté, incarné par l'aventure, le voyage humain entrepris.

Campements fougueux où, décidément, art et vie ne font qu'un...

Chemins d'embuscades et de débuscades.

Voies discrètes des caravanes de nomades, il contient sans doute certaines des routes à suivre et certains rêves qui seront vécus comme autant de signes et d'augures.

Nous n'en tirerons ni morale, ni chute, nous tenterons plutôt éthique et élévation.

L'aventure est toujours là, dans le déplacement et le dépassement, l'éclatement du temps dans le présent unique et intense à chaque instant.

Chercher ces dimensions de poésie, d'action, de présence.

Tenter de faire advenir cela même, comme un oeuvre d'art et de vie en train de naître, d'être.

Embarquer les passagers/publics dans ces eaux, ces sables, ces émotions, ces chemins là...


"...Promesses de troupes éphémères et d'éternels enthousiasmes qui foudroient les fossoyeurs d'utopie.", comme le clame l'ami Tartar(e) sous l'arbre à palabres...


Au fond, ce qui importe, c'est le chemin parcouru, quand l'horizon du voyageur s'ingénie à reculer, tandis que souffle le sufi: "mon désir est de devenir route"...

 

Soizic Kaltex / 2 septembre 2009


* Bab signifie la porte en arabe
** Cf www.lechannel.org / cahier du channel n°32

Oeuvre Fondouk Calais 2010

Cliquez sur une vignette pour agrandir. Cliquez sur le bouton "Close" pour revenir.