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Burkina Faso - Pita & Kaltex

 

"Van Gogh pensait qu'il faut déduire le mythe
des choses les plus terre-à-terre de la vie.
En quoi je pense, moi, qu'il avait foutrement raison.
Car la réalité est terriblement supérieure à toute histoire,
à toute fable, à toute divinité, à toute surréalité.
Il suffit d'avoir le génie de l'interpréter."

Antonin Artaud

 

 

 

Comment s'écrit une histoire, l'histoire?
Comment s'écrivent les histoires d'une vie, d'une oeuvre, d'un film?...
Nous pouvons retracer des filiations, des inspirations, des transmissions, des rencontres...

Il était une fois...

D'abord, un oncle saharien et ses photos, ensuite, la révélation des arts africains, la musique et la statuaire, les masques, puis la danse, l'illumination de la poésie, les lectures, l'écriture, le théâtre, l'aïkido, enfin, la découverte de l'art brut et surtout une histoire d'amour avec le grand artiste qu'était Willy Kaltex, qui a quitté ce monde en 2005...

Ils m'ont ouvert la voie et conduite à devenir une "artiste".
Ils m'ont émue et appelée. Ils m'ont insufflé énergie, liberté et inspiration. Ils m'ont donné envie d'y atteindre, d'y goû»ter, de m'y frotter et d'aller voir...

Il y a eu de nombreux voyages et parmi eux; le Sénégal, la Gambie, le Maroc, le Mali, et, au-delà , la Jamaïque, avec ses lointaines mais vivantes "roots" africaines...

Toujours, il y a le sens que l'on donne aux choses et aux hasards, s'il en est.

Au Mali, j'ai reçu des mains d'un vieux sculpteur de Bamako son maillet, taillé dans l'ébène, en forme de visage, tout buriné par l'ouvrage. Transmis par la tradition, il le tenait de son grand-père, maître en la matière. J'acceptai l'offrande, infiniment touchée d'entrer dans la lignée symbolique.

A Paris, j'ai reçu des mains d'un vieil artisan relieur de Barbès, deux gros tiroirs débordant de gouges et de ciseaux à bois. Il les tenait de son grand-père, compagnon ébéniste du Tour de France. Il me les offrait contre le promesse de ni les vendre, ni les disperser...

A ce jour, je les partage avec mes élèves dans mon atelier aveyronnais, dans la banlieue parisienne ou dans les médinas marocaines.

Un jour, Tonton Umban, père spirituel du West African Cosmos, m'a glissé à l'oreille: "Chez nous, Ã partir de l'âge de 43 ans, on se doit de transmettre ce que l'on connaît."

Parole tenue!

Il y a de ces rencontres amoureuses, amicales, intellectuelles, spirituelles ou artistiques qui contribuent à façonner la sculpture de soi.

Kaltex était à l'origine un groupe de trois peintres, comme on dirait un groupe de rock'n roll, capable de "jamer" sur une même toile à 6 mains. Puis ce fût à 4 mains, en compagnie de Willy avec qui nous avons fait oeuvre commune durant 23 ans.

Parmi 1001 bonheurs, il y a eu la création d'un totem avec des gamins des bidonvilles de Marrakech, "Le Palmier en couleurs", qui est devenu fétiche de tendresse et de fierté dans tout le quartier.

Il y a le projet du "One Love Totem", chez Chris Blackwell en Jamaïque; un arbre de 5 m de haut, que je sculpterai, en y invitant des artistes jamaïcains et les enfants des pêcheurs du village voisin.

A ce jour, il y a notre caravane nomade avec un collectif d'artistes, qui va toujours son chemin au Maroc, au fil des années.

Et puis, il y a un fidèle et précieux compagnonnage avec Philippe Roméo et Véronique Holley de Label Vidéo, producteurs de presque tous les films d'artistes voyageurs de Kaltex. Nous avons gagné une belle confiance, éprouvée depuis 20 ans. Le désir est plus que jamais vivant de poursuivre le chemin ensemble. Les expériences nous ont rendus plus tolérants et plus exigeants. Nous sommes encore plus fort convaincus de la justesse du propos, grâce à l'humanité qui nous vient en retour. Nous voyons mieux combien il nous reste à y grandir et comme c'est bon "l'aventura de vivir"!

"L'art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La Poésie ne rythmera plus l'action; elle sera en avant." disait Arthur Rimbaud.

Avec qui résonent les mots de Pier Paolo Pasolini :

"Au moins si elle est conçue comme poésie, la langue de l'action, de la vie qui se représente est infiniment plus fascinante ! C'est elle qui se reconstitue à peine refermé - à partir d'un livre de poésie : elle est avant et après.

[...] rien ne vaut la vie. C'est pourquoi je ne voudrais que vivre, même en étant poète, parce que la vie s'exprime aussi par elle-même. Je voudrais m'exprimer avec des exemples. Jeter mon corps dans la lutte. Mais si les actions de la vie sont expressives, l'expression, aussi, est action."

... Ainsi, ce sont bien la curiosité et l'humanité de nos amis communs de Ouagadougou, au Burkina Faso, Monsieur Jacob et sa femme Mariam, qui ont amené Philippe Roméo à faire la connaissance de Pierre Kaboré dit Pita, leur voisin mécano sculpteur.

Chaque jour, il crée des sculptures et des peintures dans la poussière de sa cour. Il y répare aussi des vélos et invente des triporteurs improbables qui marchent à merveille, pour lui et ses potes handicapés. Mille oeuvres foisonnantes et intenses érigent petit à petit son Grand Oeuvre, qu'il nomme "L'Univers des Arts". Son atelier est très fréquenté, les visiteurs s'assoient en ce haut-lieu de palabres, tandis qu'au milieu d'eux, Pita "travaille" sans relâche. Lui qui n'a pas l'usage de ses jambes à cause de la polio, démultiplie l'usage de ses mains et de son imaginaire. Il court là plus vite que tous réunis.

Une évidence a semblé sauter aux yeux et aux palpitants de Jacob et de Philippe; ils étaient d'accord pour voir là une incroyable fraternité entre les sculptures de Pita et celles de Kaltex. Lui, sans livre ni musée, sans filiation au sein d'une famille de sculpteurs, dans la veine de l'art brut sans le savoir... Et moi, nourrie d'images et d'expositions, atterrie dans une ferme de l'Aveyron encore sauvage, fabriquant petit à petit un caravansérail qui deviendra peut-être un jour "La Musée Kaltex", entre deux songes, celui du Palais Idéal du Facteur Cheval et celui de la "Maison du Jouir" de Gauguin aux Marquises... Et nous deux, autodidactes et singuliers, si loin, si proches, vivant notre art et notre vie comme un tout...

Et ces ressemblances troublantes entre certaines de nos scupltures ...

Ces deux-là sont faits pour se rencontrer se sont-ils dit.
Les présentations ont eu lieu par photos interposées et par internet. Ils ne m'a pas fallu en voir dix et la bonne tronche de Pita pour dire oui à l'invitation, oui à l'évidence.
J'ai envie de le rencontrer, j'ai confiance pour aller à l'aventure ensemble.
Que nous jouions à sculpter, comme on "boeuf" en musique, commme on slam en poésie!

Quelle joie d'embarquer, on va voyager, on va écrire une histoire vraie, avec quelques rêves au coeur et la filmer pour la partager généreusement.

Ce sera ça l'histoire du film, son sens et sa raison d'être; comment on se donne le désir et les moyens de réaliser des choses, qu'est-ce que nous fabriquons de nos vies, de notre art, de nos dix doigts? Qu'advient-il entre nous, que sortons-nous de l'Athanor, comment transformer du plomb en or? Comment transfigurer de vieilles chaînes rouillées et du bois flotté en gri-gri chargés d'émotions, d'espoir, d'amour, de vivant?

Tenter l'aventure en tous cas, s'y excercer, chercher, toujours.

Au fond, ce qui importe, c'est le chemin parcouru, quand l'horizon du voyageur s'ingénie à reculer, tandis que souffle le sufi: "mon désir est de devenir route"...

On the road again

One Love

Soizic Kaltex

- Qui est Pita?
- Fraternité des oeuvres, face à face avant la rencontre : Fraternité des oeuvres

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