Texte Sri Bambou / Kaltex en Inde / Ma India
Autour de "Ma India" / Kaltex en Inde
un texte de Sri Bambou - Patrick Deval...
AU PAYS DU DIEU DANSANT
Venue de sa lointaine France, une petite troupe de saltimbanques post-modernes
nomadise un hiver en Inde.
Lorsqu'apparaissent les voyageurs, le cercle de la famille indienne s'agrandit. Des artistes qui voyagent en famille: voilà quelque chose que les Indiens peuvent tout-à-fait comprendre! La famille Kaltex est à l'évidence une divinité hindoue aux multiples têtes. Ils vont être adorés.
C'est Vishnou, le bras armé de la caméra, c'est Saraswati la déesse de la musique qui tient le micro, c'est Hanuman la perfection de dévouement qui porte les peintures et les pinceaux, comme il fît pour soigner l'empoisonnement de Sita, la femme de Rama, en arrachant une montagne couverte d'herbes médicinales à Ceylan. La déesse Lakshmi est forcément là depuis le départ avec sa puissance monétaire. Et Krishna, Shiva et les autres encore dans l'ombre, déploieront bientôt leur "shakti", leur pouvoir sur la bande son ou le montage image. Il s'agit bien sûr de leur réincarnation en Denis Lefdup à Paris, qui dans son studio du Snark concocte une mise en son pour "Ma India" avec les éléments orientaux rapportés par l'oiseau Garuda, ou "Transports Express".
La statuaire indienne prend source dans la danse qui elle-même s'anime à la musique, le son primordial étant tout à la foi science et magie. Les Kaltex vont parcourir cette trame chatoyante de l'Inde qui va de la musique, vibration évanescente, à la sculpture, geste de pierre qui passe les siècles. Pour un film sans commentaire où le tournoiement infini des correspondances guidera le spectateur dans le torrent de son rêve.
Quand des artistes rencontrent d'autres artistes, ils se racontent des histoires d'artistes. En Inde, quand des artistes occidentaux montrent leurs oeuvres, non seulement ils rencontrent un public réceptif et cultivé, mais il arrive souvent qu'un artiste indien démontre sur-le-champ la vitalité d'une tradition locale antique qui relie les deux pratiques, l'occidentale et l'indienne, à travers les millénaires.
On pense aux démonstrations de "mudras", le langage des mains, devant Pina Baush et sa compagnie en tournée dans l'Inde du Sud. Les subtilités du santur ont donné des ailes à Ry Cooder, et la rencontre du violon karnatique de Subramanian approfondi la virtuosité de John Maclaughlin.
Danse et musique: langage immédiat pour le voyageur. Sculpture et peinture: objets d'appréciation universelle, créations communes à la sensualité de tous. De la confrontation des peintures des Kaltex avec celles des femmes de Mitila par exemple, ou de l'interaction de leurs sculptures avec la statuaire des "murti", les idoles des temples de Madurai, naîtra la résonnance.
Les Kaltex et Denis Lefdup nous proposent une autobiographie de leur imaginaire.
Avec leur lanterne magique sophistiquée, ils vont inventer une musique subjective, un type d'échange direct à travers de multiples médiations. Ils parient que la video de voyage peut renouveler les formes de socialité. Au bout du monde, ils vont forger des enlacements polyphoniques entre leur expression et le "génie du lieu". C'est aussi une quête d'aller trouver du bois précieux in situ, de rencontrer des sculpteurs et des peintres locaux, d'être immergé dans l'inspiration savante que leur procure les corps dansant des dieux et des déesses.
L'art kaltexien de la peinture polaroïd, du miroir tendu dans la rue, tels des bateleurs de foires, devrait faire merveille dans le pays de la "Maya", la déesse débordante de désirs, l'illusion qui voile la réalité, la Maya grouillante de vies et de morts qui se réincarne sans fin dans l'Inde éternelle.
Que Ganesh protège leur route!
Sri Bambou
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